TEMOIGNAGES

 

 

 

A PROPOS D'ALFRED SWIEYKOWSKI.

 

Madame Boucher, au printemps 2005, a répondu pour notre association aux questions que lui a posées Steve, son gendre, et qu'il a enregistrées au magnétophone. Malgré ses 91 ans, elle possède une étonnante mémoire et aime à se souvenir...

 

Dame de compagnie de l'épouse du peintre, Lina Alexandrine Collomb partagea au quotidien la vie du couple Swieykowski dès 1930, à l'âge de quinze ans, jusqu'à son propre mariage avec Henry Boucher, en 1943.

 

Les réponses données sont un témoignage précieux sur les idées de l'artiste, ses goûts, ses fréquentations, ses habitudes de vie, et permettent de mieux le connaître dans son intimité.                                           ___________________________________________________________________

 

Steve Poole:- Comment Alfred Swieykowski passait-il ses journées au quotidien?

 

Lina-Alexandrina Boucher : Il se levait tôt pour commencer à peindre aprèes avoir pris son petit déjeûner ; puis il partait à pied et il s'installait en pleine nature avec son chevalet et sa boîte de couleurs, dans un cadre qu'il avait souvent repéré auparavant pour sa beauté. Là il n'ébauchait souvent qu'une esquisse car, si la lumiére était fort changeante, il devait revenir plusieurs matins, à la même heure exactement, pour retrouver les mêmes tons et pouvoir ainsi continuer son oeuvre.

L'après-midi, il agrandissait dans son atelier ces études qui pouvaient également avoir été commencées au crépuscule.

L'Hiver, alors qu'il séjournait à Paris, il aimait visiter les musées ; il affectionnait tout particulièrement le Louvre où il étudiait le style d'autres peintres ; ou bien il se promenait inlassablement, en compagnie de sa femme, toujours à la recherche de nouveaux lieux qui stimulaient son inspiration.

L'été, alors qu'il était de retour à la campagne dans sa maison de La Ferrière sur Risle, il gardait les mêmes rythmes mais prenait aussi plasir à jardiner : Il veillait sur ses fleurs, composait des bouquets harmonieux qui décoraient l'intérieur des pièces à vivre et pouvaient parfois se trouver aussi immortalisés sur une toile !

Il avait acquis un potager en face de sa demeure et soignait ses légumes :  c'était pour lui un grand plaisir de rapporter à son appartement parisien ses pommes de terre, ses carottes et ses navets ; il choyait également ses fruits ; pommes, poires et coings.

Il appréciait les plaisirs simples qu'offre la nature : la recherche des escargots après la pluie qu'il faisait ensuite dégorger avant de les cuisiner pour les déguster, les promenades aux alentours... Le soir, il lisait.

Madame Swieykowski était toujours à ses côtés : elle l'accompagnait dans ses activités et, lorsqu'il était occupé, faisait du travail manuel : c'est ainsi qu'elle m'a appris à tricoter, à coudre et m'a guidée dans les divers travaux ménagers dont j'étais chargée.

 

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SP : Que pensait-il des artistes de Montmarte ?

 

LAB : Il estimait qu'ils étaient des "bricoleurs", pas de vrais artistes, et qu'ils dessinaient surtout pour gagner de l'argent.

 

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SP : Lui est-il arrivé de rendre visite à d'autres peintres dans leurs ateliers?

 

LAB : Rarement. Il fréquentait Germain David-Nillet qui, après avoir remarqué ses tableaux dans une exposition, l'introduisit à la Nationale des Beaux-Arts et lui fit connaître Le Faouêt, en Bretagne, où il a beaucoup peint.

Il fut l'ami du sculpteur Gaston Schweitzer, qui, aprés la guerre 14, illustra de nombreux monuments aux morts, admirait beaucoup Cottet, le peintre de Féternes en Haute-Savoie, Lhermite, Monet, Gauguin et Picasso.

 

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SP : Achetait-il les oeuvres d'autres peintres, sculpteurs, écrivains ou artites dont il appréciait le talent ?

 

LAB : Non, car il détestait les relations basées sur l'argent ; par contre, il lui arrivait d'accepter volontiers des échanges : Ainsi le très célèbre Lalique lui offrit une de ses créations en verre ouvragé contre un tableau ; David-Nillet lui dédicaça une toile sur un viilage de Bretagne et lui donna un superbe paysage de mer.

Quant aux livres, il achetait des oeuvres qui traitaient d'histoire, de géographie, de philosophie ou de science, sujets qui le passionnaient.  Il faut dire aussi que ses propres tableaux suffisaient pour décorer ses lieux de vie : ils prenaient déjà énormément de place dans son atelier et aux murs de toutes les pièces de son appartement parisien et de La Ferrière !

 

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SP : Pensait-il qu'il pouvait améliorer sa technique ?

 

LAB : A un certain tournant de sa carrière, il a décidé de modifier sa façon de peindre car il trouvait ses tableaux trop sombres ; il a donc commencé à éclaircir ses oeuvres et à adopter une technique plus légère, plus impressioniste.

 

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SP : Voyageait-il beaucoup ? Ses voyages étaient-ils des vacances ou l'occasion de découvrir de nouveaux cadres à dessiner ?

 

LAB : Il aimait énormément voyager ; lorsqu'il était jeune, il demandait : "jusqu'où peut-on aller avec 20 centimes ? Jusqu'à Chartres ? Alors, il faut aller jusqu'à Chartres ! " Il fut toujours fier de posséder une voiture, d'abord une Delahaye puis une Hotchkiss ; il séjounait régulièrement en Haute-Savoie, dans la région d 'Evian, à Maraîches où ses parents avaient déjà l'habitude de passer leur vacances. Plus tard, il vint très régulierement en compagnie de sa femme à St Paul en Chablais où il peignit de magnifiques paysages de neige. Il passa également quelques hivers à la Clusaz. Il aimait aussi beaucoup la Bretagne et louait une petite maison à St Briac.

Il prenait plaisir à visiter de nouveaux lieux à chaque fois, à se sentir en vacances, mais il gardait avec lui sa boîte de couleurs qu'un menuisier des Alpes lui avait confectionnée, et il peignait ou faisait des croquis pour l'avenir. Quelques personnes agées se souviennent du "Comte>", comme on l'appelait en Savoie, ce vieux monsieur barbu, aux mains gercées par le froid, qui portait toujous un chapeau. Il restait aussi devant son chevalet par tous les temps, sur les chemins de montagne, et disait bonjour gentîment aux enfants qui le saluaient, intrigués, en allant à l'école... Quelques-uns de ses admirateurs disaient qu'ils voulaient garder ses chiffons, qu'ils seraient de beaux souvenirs pour l'avenir !

 

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SP : Que pensait-il de l'art moderne en général ?

 

LAB : Il ne s'y intéressait pas du tout. Il ne lui plaisait pas et il ne s'y exerçait donc pas.

 

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SP : Lui demandait-on de faire des portraits ?

 

Oui, il fit de nombreux portraits, d'abord de ses parents, des toiles à l'huile, de grandes dimensions ; ensuite, ses amis posèrent pour llui, tel Smolski qui, par testament, a offert une trentaine de dessins et tableaux de Swieykowski au Musée National de Varsovie où ils peuvent toujours être contemplés.

Il représenta très souvent ses modèles les plus fidèles : Madame Swieykowski, son épouse et Mademoiselle Collomb, c'est-à-dire moi-même qui évoque actuellemnt pour vous ces souvenirs. Toujours à ses côtés, nous nous prêtions volontiers à ces séances de pose. Quelques voisins et amis firent de même ; par contre, les jeunes enfants, trop impatients, l'exaspéraient quelque peu et il ne termina malheureusement jamais le portrait qu'il avait commencé de ma fille, au grand regret de celle-ci !

En tant que sociétaire de la Société Nationale des Beaux-Arts, il avait le droit chaque année d'exposer 6 toiles : natures mortes, paysages, portraits. Il préparait l'exposition avec soin et renouvelait ses thèmes.

 

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SP : Faisait-il des copies d'autres peintures? .

 

LAB : Non, contrairement à tant d'autres artistes, il ne faisait pas de copies, non pas parce qu'il n'aimait pas peindre en public mais parce que, ce qu'il voulait, c'était reproduire les paysages "in vivo". Cependant, il passait beaucoup de temps à étudier les oeuvres des grands maîtres dans les musées parisiens.

 

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SP : A-t-il jamais essayé d'enseigner son art à de jeunes talents ?

 

LAB : Non, sauf à une seule personne, un jeune garçon de St Paul, en Savoie, qui le suivait dans toutes ses promenades, portait son chevalet, parfois loin dans la neige, le copiait, geste par geste, et fut en quelque sorte son disciple. Pourtant, il refusait de se servir de son pouce pour juger des proportions, technique que le maître respectait méticuleusement, au centimètre près, et voulait lui inculquer. Doué, ce jeune homme garda toute sa vie le goùt de la peinture, appliqua les règles qu'il avait apprises et  de devint peintre à son tour.

 

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SP : Employait-il des modèles ?

 

LAB : Lorsqu'il était jeune, comme c'était alors la mode parmi les artistes, il lui arriva de payer des modèles mais sa préférence allait à la peinture de paysages.

 

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SP : S'intéressait-il aux thèmes classiques or religeux ?

 

LAB : Il appréciait les artistes du Moyen-Age, mais n'aimait pas les sujets classiques. Il avait coutume de dire qu'il serait devenu meilleur s'il n'avait pas suivi l'enseignement de Cormon, son professeur aux Beaux-Arts... Il n'était pas non plus attiré par les sujets religieux et pourtant ce fut lorsqu'il reproduisit à l'encre de Chine ou au fusain, vers l'age de 16 ans, les piliers d'une cathédrale que son père fut frappé par son talent et décida de lui faire donner des cours de dessin.

 

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SP : Lui arriva-t-il de s'entraîner à des styles expérimentaux ?

 

LAB : Lorsqu'il était jeune, il s'essaya à la peinture d'avant-garde et dédia un tableau à Lombroso, mais ce style ne l'inspira pas durablement.

 

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SP : La philosophie interpellait-elle sa curiosité ?

 

LAB : Elle l'intéressait énormément, sutout ce qui avait trait à la sagesse, et il lisait les grands philosophes du siècle : Nietsche et Sartre.

 

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SP : Quel était son cercle d'amis ?

 

LAB : Il était restreint à ses amis proches comme Germain David-Nillet, Charles Lhermite, fils de Léon Hermite, peintre qui devint très vite célèbre grâce aux américains qui l'appréciaient énormément, Gaston Schweitzer, chez lequel tous se retrouvaient pour manger sa célèbre choucroute, servie dans une joyeuse convivialité. Il fréquentait aussi Charles Smolski, qui parlait huit langues et travallait au ministère des Affaires étrangères, madame Cointreau, artiste-peintre apparentée à la célèbre famille d'Angers, madame Ferdy-Paris et la famille Beuzon (de nombreux calendriers des postes portaient la signature des frères Beuzon). Mais il détestait les réunions mondaines ou socialisantes.

 

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SP : Avait-il des relations étroites avec sa famille ?

 

LAB : Il avait très peu de famille : Il adorait sa mère qui était d'origine belge et son père d'origine russo-polonaise qui mourut lorsqu'il avait 27 ans. Il avait aussi beaucoup d'affection pour sa tante maternelle qui vivait avec ses parents lorsqu'il était jeune. Il n'avait rien en commun avec son richissime cousin germain, Nicolas Potocki, héritier d'une immense fortune dont Alfred aurait pu bénéficier s'il n'avait pas refusé les mondanités qui l'accompagnaient, et s'il avait accepté l'offre d'adoption qui lui fut faite à la mort de son père. Ce cousin possédait en effet, entre autres propriétés, le fastueux hôtel de l'Avenue Friedland à Paris qui est maintenant devenu la Chambre du Commerce et de l'Industrie, monument classé historique. Il ne  voulut pas renoncer à la peinture, ce qui lui aurait été insupportable.

Il n'avait aucune autre famille, cette branche des Swieykowski se trouvant éteinte et leur couple n'ayant pas non plus de descendants.

 

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SP : Avait-il des convictions religieuses ? Si oui, quelles étaient-elles ?

 

LAB : A la fin de sa vie, il n'avait aucune croyance religieuse. Ses parents étaient tous deux catholliques et il avait été élevé dans la religion catholique, chez les Jésuites. A la Ferrière, son livre de catéchisme a toujours été conservé.

 

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SP : Quels étaient ses sentiments envers la Pologne, la Russie, la France ?

 

LAB : Il éprouvait des sentiments très réservés envers la Pologne. Il gardait une bonne impression de la famille royale russe, ses parents ayant émigré en France avant sa naissance, du temps des tsars, et appartenant à la haute aristocratie de la région de Kiev, en Ukraine. Selon les époques de l'histoire, ce comté avait fait partie soit de la Pologne, soit de la Russie et fut toujours partagé entre ces deux pays, mais la langue française avait toujours été en usage à la cour. Il ne soutint pas la Révolution bolchevique de 1917 et ne faisait preuve d'aucune sympathie envers cette idéologie qu'il estimait ne pas pouvoir être mise en application.

Il aimait la France où il était né et où il avait toujours vécu. Issu de parents de nationalité étrangère, il avait dû opter, à sa majorité, pour la nationalité de son choix : conseillé par son père qui aimait son pays natal, il prit alors la nationalité russe, mais le regretta plus tard et obtint la nationalité française.

 

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SP : Quelles étaient ses opinions politiques ?

 

LAB : Tous les points de vue l'intéressaient et il était très ouvert : il lisait aussi bien l 'Action Française que l 'Humanité, mais ne voulait adhérer à aucun parti.

 

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SP : Fut-il parfois approché par des propriétaires de galeries d'art qui voulaient exposer ses oeuvres ?

 

LAB : Oui, ceux de la rue de Seine en particulier ; il avait commencé à être remarqué jeune, alors qu'il participait aux expositions du Salon des Artistes français. Mais, assez vite, il s'est lassé et n'a plus répondu à leurs solicitations ; il détestait les intrigues, surtout commerciales. Comme il fut recherché pour exposer à la Société Nationale des Beaux-Arts, qu'il avait désormais des offres de parrainage et diverses introductions dans le monde artistique, il estimait pouvoir se passer des galeries.

 

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SP : Que pensait-il de l'engouement de l'époque pour l'art japonais ?

 

LAB : Cela le laissait complètement froid ; pourtant, il dessinait souvent, faisant des croquis au fusain ou au crayon et il a même collaboré aux revues artistiques de son temps.

 

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SP : S'intéressait-il à la science et aux technologies nouvelles ?

 

LAB : Oui, il aimait se rendre aux grandes expositions qui avaient lieu à Paris.

 

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SP : Que fit il pendant les deux Grandes Guerres ?

 

LAB : A la première guerre mondiale, il est allé aussitôt se présenter pour le service, mais il a été jugé trop "russe", car "russe" il était à cette époque. L'officier l'a reçu comme un simple conscrit étranger, ce qui l'a découragé. Mais il s'est porté voluntaire pour approvisionner en friandises les blessés dans les hôpitaux : Chez les Potocki, les écuries de l'hôtel particulier avaient été transformées en hôpital militaire. Il racontait que les belles dames chics disaient "ils ont hâte de guérir pour retourner au front !" . Un jour, l'un des blessés, excédé, s'écria "elles n'ont qu'a y aller, là-bas pour voir l'air qu'il y fait!". Le pauvre homme fut effectivement très vite renvoyé au combat...

 

A la deuxième guerre mondiale, il était déjà âgé. Il s'adaptait mal aux privations et aux rationements de nourriture auxquels les parisiens étaient soumis. L'été, à la campagne, il pouvait accéder à de meilleures conditions de vie et à une alimentation plus riche grâce aux produits des ferme voisines mais ce n'était pas facile pour autant : il allait au ravitaillement à bicyclette, et sa maison de la Ferrière avait été réquisitionnée par les allemandes. Il fallait donc cohabiter avec les officiers. Sa femme avait refusé de retournr à Paris, sachant combien la vie y était devenue difficile et ils étaient restés en Normandie. Le village fut bombardé en août 1944 ; juste après ce désastre, terrorisé, il partit à pied, avec madame Swieykowski, par des chemins de campagne, se réfugier au Bosc de Prés, près de Beaumesnil, dans la ferme des parents d' Henry Boucher que j'avais épousé l'année précedente...Notre fille venait alors de naître.

 

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SP : A-t-il effectué le 'Grand Tour Européen', comme c'était la coutume chez les aristocrates de l'époque ?

 

LAB : Avant de choisir la nationalité russe, il s'est rendu en Russie, à Kiev. Par la suite, il a visité l' Italie, l' Espagne car il aimait voyager.

 

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SP : Quelles pourraient être les sources d'information sur sa vie avant votre arrivée au sein du couple ?

 

LAB : Il était bien connu des gens d 'Evian dans sa jeunesse. Sa mère était la marraine de la fille du patron de l'hôtel du Nord. Celle-ci devint plus tard institutrice à St Paul. Là-bas, il était assez gai et de bonne compagnie, toujours charitable envers ses amis.

 

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SP : Quelle était son attitude envers la mort ?

 

LAB : Il avait peur de la vieillesse et de la mort : par exemple, il avait la phobie des microbes et allait jusqu'à passer ses billets de banque à la flamme pour les désinfecter au moment de l'épidémie de "grippe espagnole" de 1918. Mais, au fur et à mesure qu'il vieillissait, il devenait plus serein et moins angoissé.

 

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SP : Qu'avait-il retenu de son passé aristocratique ?

 

LAB : C'était un homme simple, sans trace de snobbisme, qui préférait la compagnie de paysans à celle des gens de la ville. Il était poli et avenant envers son entourage.

 

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SP : Aimait-il les enfants ?

 

LAB : Il ne savait pas s'y prendre avex eux car il n'avait pas été élevé en leur compagnie. Ils l' irritaient quelque peu ; il n'avait pas souhaité en avoir et n'en a pas eu. Pourtant, quoique toujours réservé avec eux, il aimait bien mes enfants, ma fille et mon fils, et appréciait leur compagnie dans ses vieux jours quand les deux familles partageaient la même grande maison de La Ferrière.

 

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SP : Parlez-nous de Madame Swieykowski.

 

LAB : Alfred l'a rencontrée lorsqu'elle avait 20 ans. Elle était beaucoup plus jeune que lui. Sa soeur, qui était modèle, les présenta l'un à l'autre. Ce fut un "coup de foudre", mais il n'osa pas la présenter à ses parents car elle n'était pas noble. Elle était orpheline, de condition modeste.

Elle s'appelait Suzanne Walter. Ils se marièrent en 1918, dans le plus stricte intimité. Ils avaient emmené avec eux deux témoins, un banquier et un avocat. Comme il en fallait obligatoirement quatre, le préposé à la mairie ne pouvait pas officier : Il prirent donc pour témoin le cocher de la diligence qui les avait conduits à la mairie et un passant ! Une cerémonie religieuse eut lieu à la vieille église St Pierre de Montmartre.

Madame Swieykowski avait souffert de tuberculose dans sa jeunesse, puis fut guérie après un long séjour à la campagne, au grand air. Elle avait été élevée par une nourrice qu'elle appelait "maman". Quand elle était encore jeune fille, elle travaiilait dans une boutique de confection de robes, rue de la Paix ; mais; après son mariage, elle se consacrait uniquement à son mari car Monsieur Swieykowski était très jaloux et ne la laissait aller rendre visite ni à sa nourrice, ni à ses amies. Ses amies étaient ceux de son mari. C'était ainsi et elle l'acceptait.

Elle cuisinait, cousait, tricotait pour elle-même et son entourage, se promenant avec lui. Elle était extrêment discrète et reservée, et fut atteinte d'une surdité très invalidante dans sa vieillesse, ce qui l' isola beaucoup après le décès d' Alfred. C'était une personne attachante.

 

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SP : Où Monsieur Swiekowski résida-t-il exactement à Paris ?

 

LAB : D'abord, il habita avec ses parents rue de Prony, puis rue Nollet et rue Miromesnil, dans le dix-septième arrondissement. Ensuite, son père lui loua un atelier à la Villa des Arts, rue Hégésippe Moreau. Lorsqu'il se maria, il vécut dans un bel appartement et garda cet atelier séparément. Quand l'argent vint à manquer, ils durent se résigner à quitter l'appartement pour venir s'installer dans ce même atelier d'artistes où Alfred avait habité étant jeune homme : une plaque apposée sur la façade rappelle aujourd'hui que Paul Cézanne, Paul Signac et Louis Marcussi ont vécu dans ce lieu charmant, ainsi que Renoir et maints autres. devenus célèbres. La ville de Paris vient de racheter cette magnifique Villa des Arts où Alfred demeura au moins trente cinq ans.

A mon arrivée parmi eux, le logement devenait trop exigu. C'est la raison pour laquelle ils emménagèrent Avenue Félix Faure, dans le quinzième arrondissement. L'appartement était confortable mais sans atelier. Nous arrivâmes alors Avenue  Porte d'Asnières, au dernier étage, dans un endroit spacieux et très clair. C'était cette fois un grand atelier mais qui s'avéra difficile à chauffer en hiver. Le loyer devint vite trop onéreux pour leurs moyens. Ainsi, à cause de raisons de difficultés financières, et bien aprés mon départ, ils déménagèrent de nouveau pour s'installer rue Campagne Première, dans un très petit appartement, extrêmement modeste et sombre, ce qui est si dommage pour un peintre. Mais il était situé près de la gare Montparnasse. Comme Alfred était alors trop âgé pour conduire une voiture, c'était commode pour se rendre en train à la gare de L'Aigle, l'été venu. Nous allions les chercher en voiture pour les emmener à La Ferrière où ils passaient quelques mois.!

 

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SP : Quel mot de la fin souhaiteriez-vous adresser à notre Association ?

 

LAB : Je souhaite longue vie à l'Association Swieykowski. Je suis heureuse qu'elle fasse revivre ce peintre longtemps méconnu, qui n'avait ni famille proche ni amis encore vivants pour perpétuer son souvenir alors que, talentueux, il méritait cette reconnaissance.